Saint Jean Bosco fait aujourd’hui référence pour de nombreux chrétiens qui souhaitent s’occuper d’éducation à travers le loisir ou l’école. A l’écriture de ce texte daté de 1934, ce prêtre italien n’était encore que Bienheureux. Pourtant, il comptait déjà beaucoup parmi les éducateurs de référence du mouvement Cœurs vaillants. C’est pourquoi nous avons jugé opportun de reprendre l’intégralité de ce texte publié dans la revue Le patronage de juin 1934. Il saura nourrir tous ceux qui souhaitent approfondir le jeu à la lumière de ce grand saint.
Dans nos œuvres le grand attrait sont les jeux, qui occupent d’ailleurs la plus grande part du temps de patronage. Et nous ne faisons en cela que suivre l’exemple et la méthode les grands éducateurs qui fondèrent les œuvres de jeunesse. M. Allemand donnait du patronage la définition suivante : « Ici l’on joue et l’on prie ».
Saint Jean Bosco faisait du jeu le pivot de toute l’œuvre éducatrice.
Saint Jean Bosco a toujours aimé le jeu. Dès sa jeunesse il sentait, comme par instinct, que le jeu lui rendait d’inappréciables services : c’est une troupe d’enfants en récréation que la Sainte Vierge lui fait voir en rêve ; c’est en amusant les enfants que, dans le verger paternel, puis dans la ferme où il travaille, il se les attirera pour les évangéliser, et, jeune étudiant, c’est lui qui sera l’âme des divertissements du groupe d’amis “la joyeuse Union” qu’il avait fondée. Aussi, directeur de patronage ou de collège, il sera l’âme des jeux de son œuvre de jeunesse, de son internat. « Quel délice c’était, raconte un de ses anciens élèves, de le voir au milieu de nous ! Il prenait garde ni à l’âge, ni à l’habit, ni à la tenue, ni au caractère, ni à la gentillesse des traits : il était à tous », lançant les parties, sautant d’un camp dans un autre selon les besoins, défiant ses petits à la course, déchaînant à travers les cours des monômes endiablés, inventant mille folies pour tenir en haleine son peuple d’enfants. Il ne s’arrêtera de jouer avec ses fils qu’en 1868, à cinquante-trois ans, parce que ses jambes variqueuses à l’excès le lui interdiront.
Le jeu : collaborateur indispensable de l’éducateur
Le jeu, dans sa pensée, n’était pas seulement une amorce pour attirer l’enfant, ni un pis aller plus subi que recherché pour remplir les heures creuses de la journée, mais un collaborateur efficace, disons le mot : indispensable. Il voyait en effet dans le jeu un des plus puissants facteurs de la joie, de cette joie qu’il voulut toujours à la base de son système éducatif. Il eût souscrit des deux mains à ce mot de Dupanloup : “Je place le jeu parmi les grands moyens d’éducation. »
Les conditions d’un jeu éducateur selon saint Jean Bosco
A quelles conditions le jeu procurera-t-il à l’enfant, à l’adolescent ces bienfaits d’ordre physique et moral ? Saint Jean Bosco le précise : à condition, d’être général, honnête, libre, mouvementé mais modéré. Saint Jean Bosco voulait voir jouer tous les enfants. « On désire vivement, écrit-il dans son premier règlement de Patronage, que tous les enfants prennent part au jeu. » Donc pas de clubs, pas de petits groupes fermés, pas de péripatétisme. On ne peut, dans ces conversations, qu’ébrécher la charité ou la pureté. « Pris chacun à part, vous êtes trois bons enfants ; ensemble, vous êtes trois petits coquins : allez vite jouer », disait-il un jour à trois de ives qu’il découvrait assis sur une poutre de construction. Pur hasard que ce trio se trouvât assis, car le Bienheureux ne tolérait aucun banc, aucun siège en cour de récréation. Les enfants qui, pour des motifs plausibles, ne peuvent jouer, qu’ils se promènent avec ceux de leurs maîtres que leur âge ou leur santé écartent des jeux.
-> Le jeu honnête
Ces activités ludiques, auxquels doit s’adonner tout son petit peuple, saint Jean Bosco les veut d’abord honnêtes, vraiment éducateurs. De ce fait, il proscrit donc sans pitié trois espèces d’amusements : les jeux de hasard, propres à développer une des passions les plus tyranniques de l’homme, les amusements qui portent les mains sur la personne d’autrui, et les jeux violents, massacreurs. Donc, pas de jeux de cartes, pas de match de boxe, pas de saute-mouton, pas de jeux où l’on se prend par la taille, ni de batailles rangées à coups de cailloux, de boules de neige ou d’autres projectiles. Le jeu doit aider à façonner un chrétien, pas à le détruire. Voici d’ailleurs les textes mêmes du grand éducateur : « Il est particulièrement défendu de se disputer, de se battre, de porter les mains sur ses compagnons … » « Crier de façon immodérée, troubler les jeux des autres, lancer des pierres, des boules de neige, des morceaux de bois, endommager les arbres, les inscriptions, salir les murs ou les meubles, y dessiner au charbon ou autrement des images quelconques sont autant de choses tout à fait interdîtes… » « Sont aussi interdits ces jeux, ces sauts, ces courses qui, de quelque façon, pourraient compromettre la santé ou la moralité des élèves… »
-> Les conditions d’un jeu libre
Ne nous méprenons pas sur le sens de cette expression : jeu libre. Dans bien des oeuvres on indique par là les courts moments entre deux jeux organisés, où nous laissons les enfants s’ébattre à leur fantaisie. Nous avons vu que saint Jean Bosco y était opposé en principe, puisqu’il prônait le jeu général, et à son exemple nous évitons, dans nos œuvres, de leur donner une trop longue durée dans l’organisation de l’après-midi. Mais ce que saint Jean Bosco souhaitait – et en cela il était fidèle à l’une des grandes directives de sa pédagogie – c’est qu’en récréation on laissât aux enfants, une fois sauvegardés les principes de moralité, la plus grande liberté dans le choix de leurs amusements : ampia liberta. « Jouez tous, leur dit-il, mais au jeu qui vous plaît ». Dupanloup ne pensait pas autrement : « Toute apparence de contrainte dans le jeu devient odieuse aux enfants. C’est encore le grand évêque d’Orléans qui notait : « Les jeux sont l’asile de la liberté de la jeunesse. »
« Je n’ai jamais vu d’éducateurs mieux respectés, que ceux qui prennent part aux jeux de leurs élèves. »
Monseigneur Dupanloup
Donc c’est aux enfants à choisir – d’où l’utilité des conseils de petits chefs où se décide l’emploi du temps. – Plus les enfants auront d’initiative à ce sujet et plus leur jeune liberté (lien) trouvera là une précieuse occasion de s’exercer. N’est-ce pas Wellington, le Duc de fer, qui disait en montrant sa cour de jeux, à Etton, et en faisant allusion à toutes les facultés d’initiative qu’elle avait développées en lui : « C’est ici que j’ai appris à battre Napoléon ». Est-ce à dire que les surveillants, les séminaristes, le directeur même ne pourront pas se mêler aux jeux ? Au contraire, et saint Jean Bosco souhaitait les voir eux aussi, se mêler à l’une des parties engagées. A l’objection que œ côte-à-côte un peu familier diminuera le prestige du maître, Dupanloup répondait, vers la même époque : « Je n’ai jamais vu d’éducateurs mieux respectés, que ceux qui prennent part aux jeux de leurs élèves. »
-> Le jeu mouvementé mais modéré
De saint Jean Bosco on a souvent cité ce mot emprunté à saint Philippe Neri : « Chantez, criez, dansez, agitez-vous; l’important est que vous n’offensiez pas le Bon Dieu. » Mais si ardent que fut son désir d’entendre les· cris, les rires, les éclats de la jeunesse, il était trop ami de l’équilibre et de la sage raison pour ne pas mettre ses fils en garde contre l’excès du jeu. Il veillait donc attentivement à ce que ses jeunes gens ne s’y jetassent pas avec furie, ne vécussent pas que pour cette heure de fièvre, qui, dans ce cas, serait fatalement une heure d’épuisement. 1Un jour, il trouva, dans un coin de la cour, un de ses meilleurs élèves, le petit Bésucco réduit en piteux état, battant de l’aile et la figure tout abîmée. Il comprit vite de quoi il retournait. L’enfant, ayant entendu dire que la récréation plaisait au Bon Dieu, s’y était donné sans mesure. Dans un sourire saint Jean Bosco lui glissa : « Mon petit François, on apprend à jouer petit à petit : vas-y donc doucement. Le jeu est fait non pour abîmer le corps, mais pour le refaire. » Fénelon ne pensait pas autrement, qui disait : « Ceux qui, par malheur, s’habituent aux plaisirs violents ne trouvent plus de goût aux plaisirs modérés. On peut gâter son goût du jeu, comme on se gâte le palais, par l’excès de nourriture. Les plaisirs es sont moins vifs et sensibles, c’est vrai, mais ils sont toujours bienfaisants. »
Avec saint Jean Bosco, on joue et on se confesse !
« La supériorité morale de nos établissements, écrivait un jour Mgr Baunard, consiste en ceci qu’on s’y confesse et on y joue ». Saint Jean Bosco eût partagé pleinement cet avis. Jusqu’au terme de ses jours, on le vit travailler à assurer à sa maison ce double avantage. Et, de la galerie où se dressait son dernier confessionnal, installé à dessein pour qu’il apercevoir les jeux de ses enfants, il penchait vers eux son bon sourire, les encourageait de sa présence et de son regard et se délectait, avant de mourir, à ce réconfortant spectacle qui ramenait sa pensée à cinquante ans en arrière : une cour battant son plein, une armée d’enfants chantant, criant, courant, ivres de jeunesse et servant leur Seigneur et Maître a joie d’une vie pleinement épanouie…