organisation jeux patronage

Voici un rapport présenté lors d’une journée d’Études fédérales de l’Union des Confrères d’œuvres en 1935 par l’Abbé Pierre Grave et publié dans Le patronage en 1936. Le jeu n’est pas seulement un passe-temps pour remplir les heures creuses de la journée, il est un collaborateur efficace de l’apostolat chrétien dans les patronages, camps et rassemblements d’enfants.

Le jeu occupe une grande place dans la vie de l’enfant (lien vers article).

Il y a deux parts dans la vie de l’enfant : celle où il joue, où il vit pleinement, où il est rempli de joie, et celle où il ne joue pas, où il s’ennuie, où il lui semble perdre son temps. Je ne puis mieux faire pour confirmer cette opinion que de citer cette réflexion d’un garçon de 11 ans au sujet du changement de l’heure : « C’est chic, Monsieur, avec ce recul de l’heureon a une heure de plus à jouer. » N’est-ce pas là, entre bien d’autres, une preuve que pour l’enfant le jeu est synonyme de vie ?

Le jeu est un moyen de formation chrétienne intégrale

Puisqu’il en est ainsi, nous chercherons la place que doit occuper le jeu au patronage en nous rappelant avec Mgr Dupanloup que la première loi de l’éducation est de se confor­mer à la nature et de donner satisfaction à ses besoins vrais. Nous jouerons donc non seulement pour plaire aux enfants et pour les attirer, non seulement pour créer cette atmosphère de joie et d’enthousiasme sans laquelle aucune formation ne pourra se faire, mais aussi pour nous servir du jeu comme moyen propre d’éducation. Le jeu doit occuper au patronage une place prépondérante ; si nous ne jouons pas, nos efforts risqueraient d’être vains. Mais si l’enfant aime le jeu en général, il leur désire des qualités que nous ne devons pas oublier si nous voulons vraiment répondre à ses désirs.

Les jeux libres ou organisés

Le garçon veut d’abord avoir la liberté de ses activités récréatives. Toute apparence de contrainte dans le jeu est oiseuse aux enfants. Ils veulent choisir leurs jeux, les mener comme ils le désirent, les organiser à leur guise. Les directeurs savent d’autre part fort bien, et nous aussi, que les enfants sont incapables de jouer seuls. Nous savons que nous ne devons pas seulement nous borner à organiser et à arbitrer mais qu’il faut nous mêler intimement au jeu comme animateurs si nous voulons de l’entrain, de la constance, de la joie. Nous savons bien aussi que notre présence dans le jeu est indispensable pour régler les différends qui éclatent à chaque instant, pour rappeler à la franchise ou pour prévenir le découragement du perdant. Aussi nous dirons plus loin que les jeux doivent être organisés, surveillés, dirigés. Mais si le dirigeant aime les enfants, s’il a su s’attirer leur affection et leur confiance, il trouvera sans difficulté le jeu qui plaît à tous et surtout le moyen de faire accepter son avis. Ainsi, il inspirera le jeu plutôt qu’il ne l’imposera. L’enfant aura ainsi l’impression qu’il a choisi lui-même son jeu et qu’il joue comme il lui plaît. 

Le jeu librement accepté mais aussi jeu attrayant

L’attrait du jeu réside d’abord dans l’effort. L’enfant aime se dépenser, se donner du mal. Parfois nous hésitons avant de lui imposer tel effort, tel travail. Si l’enjeu en vaut la peine, ne serait-ce que la gloire d’avoir fait gagner son équipe, il donnera, avec quelle générosité, avec quelle spontanéité ! Il ne s’agit pas seulement ici d’effort physique, mais aussi d’effort intellectuel : attention, observation, soumission à une règle de jeu. Mais l’attrait du jeu est aussi dans le mouvement, la vie, le bruit. Comme on l’a très bien dit, il semble que les enfants aient besoin de dépenser leur énergie. Pour cela il leur faut s’agiter, courir, gesticuler, se remuer, crier. Parfois, en ne nous souvenant plus que jadis nous avions ce même besoin de mouvement et de bruit, nous voulons imposer à nos enfants des inactivités trop longues, des silences trop prolongés. Nous nous mettons en colère si nous ne sommes pas obéis, nous prenons tour nous crions et nous menaçons ! Sommes-nous vraiment dans le bon chemin ? N’aurions-nous pas mieux fait d’essayer de comprendre la mentalité de ceux à qui nous nous adressons ?

Les jeux tranquilles eux-mêmes doivent être l’exception.

Sans doute nous sont-ils imposés par les intempéries des saisons, les dimensions trop restreintes de nos cours, des contingences multiples. Mais écoutons l’avis de Timon-David sur ce point : « S’il faut quelquefois des jeux tranquilles, que ce soit le plus rarement et le moins longtemps possible. Les jeux tranquilles doivent être l’exception ; les jeux bruyants la règle générale. » Donnons donc toutes nos préférences aux jeux de mouvement, aux jeux d’ensemble où le corps a sa part, où il y a de la vie et où l’on peut faire du bruit. Nous savons la préférence des enfants pour ces grands jeux de plein air, ces jeux de bois ou de campagne où ni l’air, ni l’espace ne semblent mesurés. S’il nous est possible de prévoir dans nos programmes de patronages quelques sorties nous permettant d’organiser de tels jeux, avec quelle joie serons-nous accueillis par nos garçons ! Ces jeux de bois ont de plus l’avantage de nous permettre de faire entrer dans le jeu un autre attrait : je veux parler de l’aventure et du mystère. Il est possible, mais plus difficile de donner à nos jeux de cour cet attrait.

Est-il chez l’enfant faculté plus vive que l’imagination ?

Avec quel plaisir, avec quelle facilité il devient un Indien, un Croisé, un corsaire ! Il vit facilement les aventures les plus abracadabrantes, il se plaît à entendre les histoires les plus merveilleuses, les plus invraisemblables. Nous pouvons alors intéresser cette imagination, nous servir de cette faculté si développée chez l’enfant pour animer nos jeux, pour leur donner un intérêt captivant et vraiment formateur. Le jeu doit exiger un effort, mais cet effort doit être mesuré. A cette seule condition il mettra de l’attrait et surtout sera utile physiquement ou intellectuellement. L’effort doit être donné sans trop de fatigue car nous ferions plus de mal que de bien à nos enfants. Nous proscrirons par exemple ces courses de résistance qui ont certes beaucoup de succès mais qui peuvent entraîner les plus fâcheuses conséquences sur des organismes d’enfants insuffisamment formés. Nous prendrons des jeux à règles simples, pour les plus jeunes surtout qui ne pourraient faire l’effort d’attention et de compréhension suffisant pour saisir une explication trop compliquée.

Les « Jeux généraux » intéressent tous les enfants

Le jeu général tout d’abord a le grand avantage d’éviter ces petits groupes disséminés dans une cour, très difficiles d’abord à surveiller et qui sont malheureusement trop souvent des foyers de mauvais esprit, parfois même de vice. Ce principe fera même éviter les jeux où il y a des prisonniers, des « morts ». Que vont ces malheureux que la malchance ou la maladresse a exclus du jeu alors que leurs camarades continuent à jouer ? Faisons tout notre possible pour qu’un moyen quelconque leur permette d’avoir une activité et de contribuer au succès du jeu.

Les « Jeux honnêtes »

Don Bosco proscrivait trois espères d’amusements (lien vers le jeu dans la pensée de Don Bosco) : les jeux de hasard propres à développer des passions les plus tyranniques de l’homme, ceux qui portent les mains sur l’autre et ceux qui sont violents. Des premiers, il n’est pas souvent question dans nos patronages. Mais nous avons trop souvent à intervenir pour faire cesser ceux des deux autres catégories ; les uns et les autres parce qu’ils sont dangereux naturellement ou moralement. Ne vaut-il pas mieux prévenir le danger que d’en supporter ensuite les funestes conséquences ?

Les « Jeux chrétiens »

Le jeu répondant à ces qualités sera éducatif. Mais il peut l’être à plusieurs degrés. De toutes façons il est formateur parce qu’il apprend au garçon à oser, à se décider, à vouloir, à se plier à la règle. Il développera en lui sa personnalité. Si le jeu se joue par équipe, il invitera l’enfant à l’oubli de soi pour assurer le succès de la collectivité ; ainsi celui-ci fera-t-il sans douter son éducation sociale. Mais puisque l’enfant ne vit que par le jeu, pourquoi ne pas utiliser le jeu dans un sens encore plus formateur ? L’enfant, avons-nous dit au début, s’ennuie quand il ne joue pas. Nous pourrons donc nous servir du jeu pour développer les idées et les thèmes que nous désirons graver dans l’esprit de nos enfants. Par le jeu, nous leur ferons dire les paroles que nous aimerions leur entendre prononcer ; nous leur ferons accomplir en jouant les actes que nous voudrions leur suggérer. Les enfants s’y prêteront fort bien puisque l’imitation, le faire semblant leur plaisent tant. Il suffira de donner à ces jeux un caractère d’aventure pour qu’aussitôt le cœur et l’esprit de nos petits gars nous suivent sur le chemin que nous leur traçons.

Sans doute faudra-t-il au dirigeant une imagination très vive capable de capter l’attention des enfants.

Au lieu de jouer aux gendarmes et aux voleurs, aux indiens et aux corsaires sans qu’aucune idée chrétienne ne soit introduite dans le jeu, le confrère proposera aux enfants comme thème, la conquête du Saint­ Sépulcre, ou les luttes héroïques des apôtres du Christ, les missionnaires qui s’en vont prêcher la doctrine chrétienne. Aucun sermon, si magnifique soit-il, aucune histoire, si vivante soit-elle, ne parleront à l’enfant, ne lui feront comprendre et sentir ces idées comme le Jeu qui les leur aura fait réaliser, concrétiser, vivre quelques instants. A ces jeux-récréations où il s’agit de lutte, de prise, de victoire, viendront s’ajouter les chœurs parlés, les scènes mimées autant de jeux complétant les premiers. La prière même pourra devenir un splendide jeu dramatique ; la liturgie elle-même n’en est-elle pas un ? Les journées de patronage deviennent ainsi une succession ininterrompue de jeux, ce qui plait aux enfants parce que cela correspond parfaitement à leur mentalité.

La succession des jeux dans la journée de patronage exige une préparation

Nous avons vu combien l’organisation, la direction des jeux était utile, même nécessaire pour permettre leur bonne marche et assurer leur succès. L’organisation des jeux au patronage exige d’abord une préparation, et c’est ce que négligent de faire beaucoup de confrères. Ils arrivent sur la cour sans avoir pensé à la succession des jeux qui composeront l’après-midi. Il ne s’agit pas de prévoir demi-heure par demi-heure l’horaire de la journée. Le confrère qui se serait livré à ce travail aurait perdu une partie son temps, car bien des circonstances imprévues l’obligeront à modifier sur-le-champ le beau programme qu’il s’était fixé.

Préparer particulièrement le grand jeu

Mais il est utile, sinon indispensable, de se demander quel grand Jeu aurait à coup sûr du succès dans la journée, de chercher s’il ne serait pas bon d’apprendre un nouveau jeu aux enfants parfois lassés de ceux auxquels ils se livrent trop souvent, de se remémorer quelques petits divertissements pour les heures de repos, qu’il est bon d’intercaler dans une après-midi. Il est utile de prévoir, au cas où la pluie viendrait interrompre les jeux de cour, ce qu’on pourra faire à l’intérieur. L’improvisation est bien agréable, mais peu pratique surtout pour des confrères non expérimentés. La nécessité de varier les jeux oblige le dirigeant à en connaître beaucoup.

Comment préparer sa journée de patronage ?

Le confrère seul pourra réfléchir quelques instants, avant de venir au patro, aux jeux qu’il lancera, à ceux qu’il reprendra. Il en discutera avec le directeur du patronage dont il est le collaborateur. Mais, dans les patronages où existent des petits chefs que l’on réunit par intervalles réguliers, souvent après chaque séance, la préparation des jeux pourra se faire dans ces « conseils des chefs ». Là les enfants seront les porte-parole de leurs camarades. Ils feront part de leurs goûts pour tel ou tel jeu, ils indiqueront les causes des succès de celui-ci, les raisons de l’échec de celui-là. La préparation des Journées pourra d’ailleurs se faire après la critique de celle qui vient de s’écouler. La préparation des jeux à thèmes exige aussi un travail. Il s’agira de donner à une journée, à une semaine, à un mois une idée générale que l’on tient à inculquer. Tous les jeux doivent donc rouler sur ce thème que l’on a choisi, qu’il s’agisse de conquête, de la royauté du Christ, ou de charité chrétienne. 

Comment faire marcher les jeux ?

La journée est décidée ; le thème est choisi ou bien seulement la succession des jeux. Doit-on apprendre une nouvelle règle aux enfants ? Avec M. de la Palisse, je dirai qu’il faut d’abord la connaître, la posséder sur le bout des doigts si l’on veut s’assurer le succès. Il faudra être clair dans son exposé, le répéter si c’est nécessaire, prévoir les difficultés qui pourront se présenter et en donner la solution bien indiquer les limites de temps et d’espace, bien fixer les camps, le mode de prise, l’emplacement des différents joueurs, leur sort au cours de la partie. Les omissions, si minimes soient elles, ont une telle importance !

Bien veiller à la composition des camps

Il faut veiller avec le plus grand soin à la composition des camps et au choix des chefs de camp de qui dépendra en grande partie le sort du jeu ; c’est pourquoi il faut s’appliquer à connaître les enfants. Le rôle du directeur dans le jeu peut être bien différent selon les conceptions, les jeux et les circonstances. Il sera simplement arbitre ou, au contraire, sera chef de camp et conseillera les joueurs. Quelle que soit sa place, il doit veiller à ne pas jouer pour lui ; il doit être un entraîneur et rien de plus. On recourra à lui quand il y aura des contestations trop souvent provoquées malheureusement par des manques de loyauté ; alors il interviendra en faisant usage de son autorité, en se montrant aussi impartial que possible. Le rôle d’arbitre n’est pas toujours le plus agréable ; ce n’est pas seulement dans les matchs officiels qu’il est exposé à des protestations parfois fort véhémentes. Sa justice doit s’imposer, mais il est nécessaire d’habituer toujours les enfants à respecter les décisions de l’arbitre en leur montrant, si possible, les difficultés rencontrées (en les faisant ou laissant de temps arbitrer eux-mêmes par exemple).

Savoir arrêter un jeu avant la lassitude

Il faut savoir arrêter un jeu avant lassitude des enfants. Trop souvent, heureux de constater l’ardeur et l’intérêt, nous prolongeons trop la durée du même jeu. Il vaut mieux savoir le faire cesser à temps, la reprise, une autre fois, n’en sera que plus agréable. Il faut varier les jeux d’une journée à l’autre du patronage, d’une heure à l’autre ; il faut surtout intercaler jeux de mouvements et jeux tranquilles, ceux-ci ne servant, comme il a été indiqué plus haut, que de repos.

La critique du jeu peut être la séance d’avis la plus utile

Le jeu est fini… la critique peut en être faite immédiatement. C’est alors surtout que le dirigeant doit se rappeler qu’il est avant tout un éducateur. Il montrera le manque de cohésion du camp ou des équipes, le peu de franchise manifestée par quelques-uns, la lâcheté de ceux qui ont abandonné la partie parce qu’ils perdaient… il s’ingéniera à transporter dans la vie tous les défauts qu’il a aperçus dans le jeu. Cette critique de jeu sera la plus utile séance d’avis (lien) que l’on puisse donner, celle à coup sûr qui portera le plus. J’ai essayé, au cours de ce rapport, de montrer que le jeu est, comme l’a dit encore Mgr Dupanloup, un grand moyen d’éducation. Il en est ainsi si nous savons l’utiliser comme tel et si nous donnons tant à sa préparation qu’à sa réalisation tout le soin désirable.

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