Ce texte extrait de la revue Éducateurs de décembre 1943 nous éclaire sur l’intention du Mouvement Chrétien de l’Enfance de former des chrétiens cent pour cent. Qu’est-ce que cela veut dire ? L’expression signifie-t-elle : des chrétiens fervents, convaincus, vivant intensément ? Non pas, ou plutôt : non pas seulement cela. En rigueur de terme, l’expression « chrétien cent pour cent » signifie : chrétien dans tous les domaines, chrétien dans le civique, le social, l’économique comme dans le privé.
Le christianisme qui est transmis entre-t-il pleinement dans la vie des enfants ?
On peut s’étonner à bon droit que des enfants ayant appris et même su leur catéchisme vivent sans se soucier le moins du monde de ce qui leur a été enseigné ; que des petits gars ou des fillettes ayant été inscrits à des groupes de piété, ayant communié fréquemment à onze ou douze ans, abandonnent ensuite toute vie chrétienne comme si tout ce à quoi ils croyaient jusque-là devenait brusquement une « affaire de gosses » qui n’est plus faite pour des « grands » … Mais le Christianisme qui leur a été enseigné entrait-il pleinement dans leur vie ? N’était-il pas simplement « plaqué » au lieu de se présenter comme une mystique intégrale faite pour imprégner tous les instants de l’existence ?
Les exigences spirituelles du christianisme
I) Un christianisme basé sur une foi inébranlable.
Il faut que nous comprenions ceci : développer au maximum chez l’enfant le petit germe de foi qu’il a reçu ou baptême est polir l’éducateur chrétien une tâche d’autant plus nécessaire que le milieu ambiant est devenu plus réfractaire, plus déchristianisé, plus matérialisé. Sans la foi, il n’y a pas de charité, pas de générosité, pas d’effort personnel, ni d’action conquérante. Il ne s’agirait donc pas de présenter à nos enfants un christianisme de dévotion dans lequel l’abondance des « exercices de piété » masque l’insuffisance de la formation doctrinale et laisse intact le paganisme du jugement pratique. Il faut donc admettre que toute notre pédagogie devra être à base de surnaturel. C’est dans un cadre chrétien, c’est en employant carrément un langage chrétien, imprégné d’esprit de foi, que nous élèverons l’enfant. Et cela exige des éducateurs bien autre chose qu’une multiplication intempestive et maladroite des pratiques de piété. (Ce qui ne ferait que dégoûter l’enfant sans le former.)
2) Un christianisme fort et exigeant.
En une époque où la mentalité générale est faite de veulerie, de mollesse, de peur du risque, et de sensualité, il est impossible de former des chrétiens authentiques sans « leur avoir mis les points sur les i », c’est-à-dire sans leur avoir fait comprendre que la pratique du Christianisme exige de rudes efforts, une véritable maîtrise de soi, une « conversion » totale par rapport à l’esprit du monde. Il ne s’agirait donc pas : de présenter à nos enfants un Christianisme commode et au rabais. On n’en ferait que des chrétiens moutonniers sans conviction, destinés à devenir très vite des non pratiquants. Il ne s’agirait pas non plus de laisser aux « néo-païens » le monopole de la force et de les laisser proclamer quo le Christianisme fait une race alanguie et dégénérée.
Toute notre pédagogie devra tendre à forger à l’enfant une âme forte, vaillante.
Les enfants sont naturellement généreux et enthousiastes : le plus faible, le plus éloigné de l’idéal en perçoit pourtant la beauté, au moins si cet idéal lui est présenté à l’âge où il a encore sa fraîcheur d’âme. Plus on lui demandera plus il « rendra », si on lui fait sentir qu’« être chrétien c’est beau, c’est énorme, cela vaut la peine qu’on s’y donne à plein et qu’on essaie d’y amener les autres ». Ainsi, à ces enfants que l’on couve et que l’on gâte nous enseignerons qu’« il ne faut pas avoir peur du sacrifice ». A ces enfants devant qui on exalte la force, nous enseignerons que le seul combat digne de nous, c’est le combat pour le Royaume des Cieux et le salut du monde.
3) Un christianisme centré sur la grâce et orienté sur l’unité
Trop souvent, le Christianisme a été présenté à peu près uniquement comme une morale, une série d’interdictions. Or la morale n’est qu’une des exigences de cette vie profonde et enthousiasmante qu’est la vie divine en nous. Trop souvent aussi, le Christianisme a été présenté comme une doctrine individualiste qui semble ne s’intéresser qu’aux rapports personnels entre l’âme et Dieu : « Je n’ai qu’une âme qu’il faut sauver de l’éternelle flamme ».
Le Royaume de Dieu est à construire
Sans rien omettre de cet aspect parfaitement exact de la religion, ne devrait-on pas se souvenir que le Christ a centré toute sa prédication sur le Royaume de Dieu à construire et tout son enseignement moral sur l’amour de Dieu et du prochain ? Dieu est le Créateur et le Maître, mais il est le « Bon Maitre » et le message du Christ est la « Bonne Nouvelle ». Dieu n’est pas un tyran aux aguets de la faiblesse humaine, mais il est le Père de l’Enfant prodigue. La mission du Christ n’est pas de détruire par le feu un monde maudit (« Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes »,dit-il aux Apôtres qui lui proposaient cette méthode, mais de « réunir en un les enfants de Dieu dispersés ».
Exalter la vertu de charité
Il faut donc admettre que toute notre pédagogie devra tendre à mettre à l’honneur, à cultiver, à exalter de toutes manières la loi de Charité, celle qui, d’après Notre-Seigneur résume la « Loi et les Prophètes » celle qui est le signe distinctif auquel on reconnaît les disciples de Jésus ; toute notre pédagogie devra tendre à inculquer aux enfants le sens de « l’unique nécessaire » : le Royaume de Dieu à construire, la cause de Dieu à faire triompher.
Les exigences humaines du christianisme
a) Le Christianisme n’est pas quelque chose de compartimenté qui sert pour les « exercices » de piété obligatoires mais ne pénètre pas la vie « profane ». Il n’y a rien de profane pour un vrai chrétien ; l’enfant doit vivre son christianisme à l’école, à la maison, sur le chemin, et tout dans sa vie doit être sanctifiant, comme son travail à l’usine ou aux champs, bientôt, devra être également sanctifiant.
b) Le Christianisme n’est pas quelque chose de désincarné, qui n’intéresse que l’âme ; l’enfant a un corps et doit le développer ; il doit apprendre que ce corps, « temple du Saint-Esprit », et au service de l’âme : tout le besoin d’activité, de mouvement, de jeu, le développement physique doit servir à la sanctification, à l’éducation chrétienne, et donc d’abord s’y intégrer. Ce n’est pas seulement d’un groupement de piété que les enfants ont besoin pour devenir des « chrétiens cent pour cent ». D’abord parce qu’un groupement de piété n’est pas fait pour s’occuper directement des problèmes techniques que posent l’activité physique, la vie scolaire, le jeu et les loisirs des enfants, leur préparation à la vie de travail, etc.
Pour une collaboration des éducateurs au profit de l’enfant
Ensuite, parce que la christianisation de l’enfant ne pose pas seulement des problèmes de formation spirituelle personnelle (à la solution desquels s’attarde le groupement de piété), mais encore des problèmes de vie et les problèmes de milieu dont la solution nécessite la mise en action de tous les éducateurs et de tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont une part de responsabilités sur l’enfant : famille, Etat, école, organismes professionnels, etc. (Educateurs, décembre 1943)