Le Père Gaston Courtois aura connu les deux grandes guerres mondiales du XXe siècle. Malgré cela, son espérance est toujours restée intacte. Son désir de s’occuper des enfants et de leur proposer une vie chrétienne se sera réalisé dans la fondation et le développement du mouvement des Cœurs vaillants dans lequel de nombreux abbés, religieuses et laïcs se sont également donnés. Parmi les grands engagés, il y avait la Sœur Agnès Richomme dont le nom a été rendu célèbre par la collection des vies de saints « Belles histoires, belles vies ». En 1971, elle écrivit l’ouvrage « Un prêtre : Gaston Courtois » duquel est extrait cette chronologie des grandes étapes de la vie de ce Fils de la Charité.
Enfance et adolescence de l’Abbé Gaston Courtois
C’est le 21 novembre 1897 que naquit à Paris celui qui allait devenir l’abbé Gaston Courtois. Toute sa vie, il considéra comme un sourire particulier d’être venu au monde un jour de fête de Notre-Dame et s’en réjouira ouvertement. La Mère de Dieu, de son côté, semble bien avoir mis son empreinte sur le nouveau-né. Son père, d’origine parisienne, fut capitaine de vaisseau dans la Marine marchande. Poète à ses heures, il a laissé des « cahiers de bord » qui ne manquent pas d’intérêt. Une ascendance florentine de ce côté paternel est peut-être responsable de ce sens de l’art et de ce goût pour la musique qui se manifestèrent très tôt chez le petit Gaston Courtois. De sa mère, Alsacienne, il avait hérité ce sérieux, ce réalisme et cette calme solidité qui le complétaient harmonieusement. Après lui vinrent au monde un frère et une sœur. Mais, quelque vingt ans avant lui, d’un premier mariage de son père, était née une autre sœur qui fut pour lui dans son enfance – étant donné la grande différence d’âge – une « petite maman ».
Un tempérament de chef et une vocation de journaliste
Après un bref séjour dans une école privée, c’est chez les Frères des Ecoles Chrétiennes qu’il commença vraiment ses études. A ces éducateurs que sont les fils de saint Jean-Baptiste de la Salle, il conservera une affection reconnaissante qui durera jusqu’à sa mort. Devenu ensuite lycéen à Louis-le-Grand, il s’impose très vite par un tempérament de chef en même temps qu’il manifeste déjà une vocation de journaliste. Un groupe interscolaire de lycéens catholiques s’organise sous son impulsion et tient ses réunions rue Tournefort, dans un patronage du quartier Mouffetard. Il a quinze ans. Lorsqu’éclate la première guerre mondiale, décapitant les œuvres de jeunesse des vicaires mobilisés, il prend en charge le patronage des garçons de la paroisse Saint-Gervais, non sans avoir recruté une équipe de camarades. Il se noue là, entre ces jeunes désireux de servir, des amitiés durables, en même temps qu’y éclosent nombre de vocations sacerdotales. Plusieurs de ces jeunes gens sont d’ailleurs des membres actifs du Cours doctrinal de Saint-Sulpice.
Engagé volontaire en 1915, alors qu’il est âgé d’à peine 18 ans.
En juillet 1915, le soir même du jour où il est reçu au baccalauréat, il s’engage pour la durée de la guerre. Affecté à un régiment d’artillerie, il fait son temps de préparation à Vincennes. Aussitôt, il repère les jeunes chrétiens, les regroupe et fonde un foyer militaire catholique. Le voilà parti pour le front, le 1er mai 1916. Il va connaître tous les champs de bataille aux noms fameux : Verdun, l’Argonne, la Somme, le Chemin des Dames. Nous avons de cette époque, grâce à son père qui les a recopiées dans un cahier, un certain nombre de lettres du jeune soldat, toutes empreintes de cette bonne humeur et de cet optimisme qui domineront toujours en lui. Grièvement blessé à la jambe et au bras droits le 23 avril 1917, il est relevé par son ami André Crampon (le futur supérieur du grand séminaire d’Amiens, qui restera toute sa vie un frère pour lui et sera rappelé à Dieu, quelques années avant lui, à Rome même où il était venu en pèlerin).
Retour du Père Gaston Courtois au « patro » de Saint-Gervais en 1917
Saint-Gervais. Il reste de cette période un « Journal du patronage Saint-Gervais » qui commence ainsi : « Étant atteint d’une blessure dont les suites (impotence fonctionnelle du pied droit et névrite) semblent devoir être très longues à disparaître, il est probable que je serai encore de longs mois avant de pouvoir reprendre un service militaire. Ce temps que le Bon Dieu m’accorde ne m’est pas donné pour être gaspillé, mais pour servir… » C’est en septembre 1917. Il n’a donc pas vingt ans.
Les vicissitudes de la guerre ont quelque peu désorganisé cette œuvre laissée au jour de son engagement.
Celui de ses camarades auquel il en avait confié la direction est tombé gravement malade. Un autre est mort subitement, un troisième s’est engagé. Ceux qui restent ont manifesté un grand courage pour maintenir l’œuvre (c’est lui-même qui le dit dans ce journal). Ils sont toutefois en nombre insuffisant d’autant que, tout en poursuivant leurs études, ils sont aussi membres de la Conférence Saint-Vincent-de-Paul de Saint-Sulpice. Qui sont-ils ? Leurs noms sont consignés dans ces pages, des noms qu’on retrouvera ensuite, soit dans les rangs du clergé, soit dans ceux des militants chrétiens : les frères Biancani, Constant, Dauchez, Hottot, Hua, les frères Lethielleux, les frères Mingasson… auxquels viendront bientôt se joindre les frères Livragne et d’autres.
Le patro de Saint-Gervais redémarre sous l’impulsion de Gaston Courtois.
C’est un nouveau démarrage de ce « patro » que nous pouvons suivre dans le journal de celui qui reprend sa fonction de directeur. Il est alors en traitement à l’hôpital n° 49, situé rue de la Chaise. À travers ces pages, qu’on ne lit pas sans une pointe d’émotion quand on songe au jeune blessé qui souffre et marche difficilement en s’aidant d’une canne, on trouve déjà ces réflexes profondément surnaturels enmême temps que ce sens inné de la psychologie des jeunes qui caractériseront Gaston Courtois :
« Je recommande à X… , écrit-il, de veiller à la tenue et de ne pas se laisser « chahuter » par les enfants, afin d’acquérir une autorité naturelle qui lui manque…
Pour que les enfants s’intéressent aux jeux, il faut que les directeurs jouent un peu avec chacun… veillant à ce que l’intérêt ne baisse pas et à ce qu’aucun enfant ne soit sans jouer…
Le côté surnaturel est le côté essentiel du patronage, et ce qu’il faut chercher avant tout, c’est la sanctification des âmes, âmes des enfants, âmes des directeurs. Il faut que ce soit Jésus qui soit la vie du patronage.
Or, cela n’arrivera que si nous avons une vie intérieure assez intense pour que Jésus transparaisse en nous. »
Bientôt, l’ordre règne à nouveau, les groupes d’enfants sont bien pris en main, le jeune directeur faisant démarches sur démarches pour trouver de nouveaux collaborateurs. Il faut aussi se procurer des ressources car la caisse est au plus bas. Il organise un concert, s’assurant le concours bénévole d’artistes de l’Opéra-Comique et autres. Après les jeux, le jeune homme adresse aux enfants des petits mots tout simples, il leur apprend à prier. Dès qu’il trouve quelqu’un acceptant de venir aider à Saint-Gervais : « Je lui fais voir, note-t-il, le côté surnaturel de l’œuvre ».
Gaston Courtois a le désir d’aider les directeurs du patronage avec des conseils avant-gardistes.
Il n’y a pas encore un mois qu’il est revenu qu’il écrit, en octobre 1917 : « Ce matin, pendant ma méditation, m’est venue l’idée d’écrire un petit manuel ou directoire pour les directeurs du patronage Saint-Gervais. » Il déplore la manière dont on fait le catéchisme : « Ce n’est pas l’explication longue, embrouillée, confuse, monotone qu’on leur donne, qui peut leur ouvrir l’intelligence et les encourager à apprendre des leçons qu’ils ne comprennent pas. » et trouve aussitôt un remède : les chefs de groupe feront le jeudi soir une causerie-explication des leçons entendues le matin. Il ira plus loin : on habituera les enfants à prendre des notes et on s’entretiendra avec eux, les laissant librement parler pour s’assurer de ce qu’ils ont assimilé. Il constate : « Les enfants semblent y porter un vif intérêt, car la causerie devient très animée … Chacun donne son avis … Cela les intéresse beaucoup, les oblige à réfléchir ; ils s’entraînent mutuellement, ils font connaître le fond de leurs pensées… »
Et le patro de Saint-Gervais grandit…
Pour pallier le manque de local et l’étroitesse de la cour, les groupes s’en vont jouer qui au séminaire d’Issy, qui aux Arènes, qui au Jardin des Plantes. Transféré d’hôpital en hôpital, le directeur du patro, Gaston Courtois, ne réussira jamais à se faire admettre à l’ambulance 1008 installée justement… à Saint-Gervais ! Il ne craint pas sa peine, organise des sorties dans d’autres patros, de grandes promenades aussi occasionnellement, donne des projections, et note en passant qu’il a « acheté des chansons à l’Union, ajoutant qu’on y trouve « de si bonnes choses, de si bons ouvrages, de si bons tuyaux et conseils pour les patronages ». Il ne se doute pas qu’il y viendra plus tard, et pour longtemps !Le 4 novembre, il écrit qu’il va suivre le lendemain les cours de l’Institut Catholique en vue de la licence lettres-philo, et ajoute : « Aurai-je le temps suffisant pour m’occuper de toutes les questions du patro ? » La suite du journal montre qu’il le trouve, ce temps, car les activités y sont régulièrement consignées.
Le Manuel des directeurs du patronage Saint-Gervais voit le jour.
L’idée de Gaston Courtois n’est pas restée « en l’air ». Il y travaille et s’en entretient avec ses camarades en « Conseil directeur ». Il l’achèvera et lui donnera le titre de Manuel des directeurs du patronage Saint-Gervais. Ce manuel existe encore. C’est un cahier d’écolier au papier jauni, dont les trente-huit pages contiennent déjà en germe l’œuvre du Père Courtois et qui s’achève par une chaude recommandation d’aimer et de faire aimer la Sainte Vierge, de recourir à elle avec confiance, afin qu’elle soit pour les directeurs « la douce Maman du Ciel à qui l’on demande tout et qui ne refuse rien ».
Selon Gaston Courtois, le sport a sa place au patro, mais il reste secondaire !
A côté de la formation collective des enfants, le jeune directeur insiste sur l’importance de la formation individuelle. Ayant fait partager sa conviction à ses camarades, il note avec satisfaction « l’aspect pittoresque » qu’offre le patronage à certains moments : « Dans tous les coins de toutes les salles, on voit chaque chef de groupe en train de causer avec un enfant » et il ajoute : « Ces petits tête-à-tête, s’ils ne sont pas trop longs, si le temps y est bien employé, si le chef de groupe a du tact, du doigté, de l’intelligence, peuvent être merveilleusement féconds. » Au long des mois, une équipe de foot a été constituée, mais il déclare nettement : « Oui, nous faisons du sport -mais je tiens à ce que le sport reste à sa place … secondaire ! C’est la condition de son utilité bienfaisante … » Un peu plus loin, on lit : « Innovation au patronage : un tableau d’affichage des avis et décisions. »
Le 29 mars 1918 (Vendredi Saint) : l’église Saint-Gervais est bombardée et 88 fidèles trouvent la mort.
Et l’on arrive à la période des bombardements de Paris par le canon à longue portée. Le 23 mars 1918, un obus tombe rue François-Miron, et le Journal note que le quartier de l’Hôtel de Ville ” est en plein sur la ligne de tir ». Le 29 mars (c’est le Vendredi saint), un obus frappe le pilier supérieur au milieu de la nef de Saint-Gervais. L’église est pleine et le nombre des victimes très important. Le directeur se trouvait à ce moment hors Paris à Chennevières-sur-Marne, où il organisait avec ses camarades la grande promenade qu’on devait y faire le lundi de Pâques. Après deux pages émouvantes relatant la catastrophe de Saint-Gervais, où Gaston Courtois n’est arrivé qu’après coup, le Journal s’interrompt brusquement, au milieu d’une phrase. Il sera complété, cinquante-deux ans plus tard, par le témoignage ci-après envoyé au Supérieur général des Fils de la Charité par le Père Gilbert Livragne (1899-1989), de l’Oratoire, un des compagnons de ce temps-là :
Le sergent Gaston Courtois, blessé à la jambe, était étudiant à l’Institut Catholique en 1917 et s’occupait du patronage de l’église Saint-Gervais. J’étais son condisciple à la Catho et son confrère de patro à Saint-Gervais… et nous avions été ensemble à la crypte de Saint-Sulpice. C’est dire combien je l’ai connu.
Ardeur, conviction, rien ne lui résistait alors. Saint-Gervais fut bombardé (le Vendredi saint). C’est lui -lui seul-, qui décida et réalisa l’évacuation des enfants de la paroisse, trouva un vieux château à Jouy-sur-Morin (si ma mémoire est bonne), ébranla tout le monde et trouva les ressources. M. le Curé, timoré, laissa faire, mais ne bougea pas. L’Echo de Paris refusa de faire le moindre appel parce que c’était une œuvre confessionnelle. Gaston Courtois s’adressa alors aux Américains. L’Y.M.C.A. (protestante d’inspiration) donna camions, lits, jeux, etc. Et pendant des mois, à quelques jeunes gens, nous avons assuré la marche de cette maison nous relayant pour suivre nos études…
Bien sûr ce fut le curé de Saint-Gervais qui reçut la Légion d’honneur. Je nous revois encore, collant du papier huilé aux fenêtres sans carreaux de ce château … Une certitude s’imposait : Gaston Courtois ira loin pour servir le Seigneur. Sa puissance d’action doublée par sa foi ne pouvait le destiner à une vie médiocre. Mais son entrée aux Fils de la Charité a garanti son humilité des risques d’une telle nature qui ne peut connaître la discrétion ni l’effacement… et tend toujours à identifier l’œuvre à sa propre personne. C’est la grande grâce sacerdotale que lui ont apportée les Fils de la Charité.
Je ne l’ai rencontré que de temps en temps. Mais un tel ami ne s’oublie pas.
D’auprès du Seigneur, sa fougue à la fois infiniment apaisée et infiniment multipliée obtiendra des grâces pour le sacerdoce en crise… c’est dans cette intention que, très affectueusement, je lui reste uni et adresse aux Fils de la Charité l’expression de mon regret de ce qu’on appelle une perte mais que je crois un gain. Il y a trop peu de prêtres dans les sillons maintenant, mais y en a-t-il assez à être là-haut en médiation d’éternité ?
On comprend la brusque interruption du Journal ! Dès l’été, d’ailleurs, le sergent Gaston Courtois était à nouveau mobilisé, bientôt nommé officier et affecté à l’état-major du général Mangin. Lorsqu’il sera en occupation à Mayence, il y fondera un foyer militaire. Pour compléter ce chapitre… héroïque, ajoutons que sa conduite au front lui valut la Croix de guerre avec deux citations, puis la Légion d’honneur.
Un appel au sacerdoce reçu à l’église Saint-Sulpice.
Gaston Courtois n’avait pas douze ans, nous l’avons dit, lorsqu’il perçut, dans la chapelle de la Sainte Vierge de l’église Saint-Sulpice sa paroisse, l’appel du Seigneur. Il acquiesça immédiatement, et totalement. Jamais il ne revint sur cette réponse affirmative. À peu de temps de là, cherchant, dans sa générosité foncière, des gages à donner au Christ, il en trouva deux : ne jamais fumer – ne jamais danser. C’était courageux, à cet âge où tout adolescent s’efforce de s’affirmer en « jouant au grand ». Il s’y tint toute sa vie. Et il racontait volontiers, en riant, qu’il avait « fait danser Charles de Gaulle ». Devant les regards interrogateurs, il s’expliquait : Invité à de petites sauteries familiales où le futur général venait parfois, il y apportait son violon. Ainsi était résolue pour lui la question de la danse, puisqu’il faisait partie de l’orchestre.
Une vocation de prêtre qui s’épanouira auprès de la jeunesse.
Démobilisé en septembre 1919, le jeune Gaston Courtois entre au séminaire diocésain de Paris, à Issy-les-Moulineaux. Sans aucune hésitation quant au sacerdoce, il est en recherche quant à la manière de le vivre en plénitude. Déjà, en mai de cette année 1919, il est devenu tertiaire de saint François d’Assise – et fera profession, au séminaire même, le 8 décembre 1920. Mais cela ne lui suffit pas …
Tout en continuant ses études ecclésiastiques, il réfléchit longuement à la possibilité d’un engagement total. Le service accompli au patronage Saint-Gervais l’a orienté vers la jeunesse de la classe ouvrière. Fortement attiré par cet apostolat, il envisage déjà une fondation qui répondrait à cet attrait. « Ce que vous cherchez existe », lui dit quelqu’un, qui lui parle du Père Anizan. Il va voir le fondateur de l’Institut des Fils de la Charité. Rencontre décisive. Quelques entretiens suffisent : entre sa philosophie et sa théologie, le jeune abbé Courtois fait son noviciat.
Ordination de l’Abbé Gaston Courtois en 1925.
Il est ordonné prêtre le 29 juin 1925. À ce jour, son agenda porte ce seul mot : « Magnificat », le même qu’il demandera, quelque quarante-cinq ans plus tard, qu’on mette pour annoncer son retour à Dieu. Le 30 septembre de cette même année 1925, il fait profession perpétuelle : Le voilà consacré par les trois vœux de religion, tout donné, et bien décidé à « s’user jusqu’à la corde » selon l’expression du Père Anizan. Il en aura largement l’occasion.