Transmettre l’histoire de France de façon vivante, incarnée et ludique est un des enjeux du patronage. La culture d’un pays est un bien précieux pour ses habitants. Ce texte de 1941 signé par Y. Favre est un préalable à une visite pédagogique d’une des nombreuses cathédrales de France que cet auteur qualifie « d’hymne de pierre que les chrétiens offrent à leur Seigneur ». Quoi de mieux pour faire connaître aux enfants l’histoire et le patrimoine français de façon ludique.
Des joyaux de l’histoire et de la culture
Quand on constate l’exiguïté des villes au Moyen-Âge, la petitesse des maisons et des rues, on est étonné de voir les grandes dimensions des cathédrales de France qui les domine. C’est que tout s’est trouvé réuni pour faire de nos vastes églises gothiques des chefs-d’œuvre d’art et de magnificence. Déjà, sans doute, rien n’était jugé trop beau pour la Maison du Seigneur et depuis plusieurs siècles on construisait des églises pour lesquelles ni les pierres ni les marbres n’étaient épargnés ? Elles étaient fort belles mais les principes architecturaux adoptés jusqu’alors n’avaient pas permis ces dimensions qui nous étonnent dans les constructions religieuses des 13e et 14e siècles.
Les cathédrales de France s’élèvent à partir du XIIe siècle
A partir de la fin du 12e siècle les premiers essais ont été faits, l’ogive et l’arc-boutant ont été employés avec succès, à travers toute la France peuvent commencer à s’élever ces joyaux d’architecture qui dominent encore nos villes. Les grandes dimensions de ces monuments s’expliquent aussi du fait que si nos églises sont la Demeure de Dieu elles sont également la maison de ses enfants. Nous entrons dans nos églises pour participer aux cérémonies et il fallait que ces cathédrales de France soient assez grandes pour contenir le peuple chrétien accouru. Du reste les constructeurs ne séparaient pas le Seigneur de ses enfants et si tout l’art ornemental : sculpture, vitraux était tout premièrement dédié à Dieu, il n’en servait pas moins secondairement à l’instruction et à l’agrément des fidèles.
Les Cathédrales de France offertes à Dieu comme demeure
Ces églises sont des poèmes de pierre dans lesquelles chante toute la Création : flore, faune… grotesques que tous ses enfants offrent à leur Seigneur par l’intermédiaire de Marie à qui elles sont généralement dédiées
Ce sont d’abord des églises de pierre.
Fini le temps où l’on allait chercher dans les ruines des monuments romains les marbres précieux, venus parfois de Grèce, dont on revêtait les murs, et les colonnes qui soutenaient les voûtes. Par la force des choses car on n’a plus rien d’autre, on construit avec la pierre du pays et c’est elle que les sculpteurs vont travailler. Lorsque l’Evêque et le Chapitre d’une ville décident de commencer la construction des cathédrales de France, ils s’inquiètent en premier lieu de savoir d’où viendront les matériaux nécessaires. Il y a en France certaines carrières de marbres qui sont célèbres près de Toulouse, ils ont servi autrefois lors de la construction des églises de Languedoc : Saint-Sernin, etc. mais maintenant on n’y a plus guère recours et le transport serait trop compliqué. On se servira des pierres du pays et nous voyons des Chapitres se porter acquéreurs de carrières situées dans les environs du lieu de construction.
Les pierres varient selon les régions
On augmente le nombre d’ouvriers qui y travaillent, les gens du pays vont aider au transport et les routes se couvrent de convois qui apportent les pierres qui enfouies ou visibles contribueront à édifier le monument.Suivant les régions ce sera une pierre plus ou moins dure et le sculpteur saura tirer parti de ses qualités spécifiques. A Paris comme à Chartres, on emploiera une belle pierre de liais d’un grain dur et fin, à Rouen, de la pierre de Vernon plus molle et friable, en Bourgogne, la pierre de Tonnerre qui se polit et se dore au soleil.
Toute la nature chante dans ce poème dédié à son Créateur.
Elle se retrouve au complet dans l’ornementation des, chapiteaux, des frises, des portails. On est parfois surpris en regardant attentivement de sentir quel charme se dégage de ses feuilles de choux, de ces radis, de ces branches de vigne que l’on retrouve dans presque toutes nos cathédrales de France. Quant aux animaux qui décorent chapiteaux et frises, ce sont également ceux de nos pays : chevaux, chiens, etc., et je connais même telle base de colonne où un chien de chasse poursuit un lapin en suivant la piste ronde réclamée par le membre de construction qu’ils décorent.
Les portails des cathédrales de France montrent la nature
Les calendriers des portails nous montrent les scènes de chez nous : moisson, vendange, semailles, etc. C’est à Paris que les cc mois » sont les plus réussis. La flore y est d’une fraîcheur printanière et d’une grande variété : rosier, lierre, cerisier, fenouil, vigne, chêne, pommier. Souvent les mois sont symbolisés : Janvier en général festoie, Février se chauffe, ars taille sa vigne, Avril se promène une fleur à la main, Mai chasse au faucon, Juin fauche le foin, Juillet moissonne, Août bat en grange, Septembre gaule les fruits, Octobre presse la vendange, Novembre engraisse le porc et Décembre le tue pour le festin de Janvier.
La vie intellectuelle est représentée également grâce aux arts libéraux
A Laon, la Philosophie se voit la tête enfoncée dans les nuages, une échelle appliquée sur le corps, la Grammaire une férule à la main fait la classe, la Musique d’un petit marteau frappe sur des clochettes, l’Astronomie montre un disque traversé d’un trait brisé, la Rhétorique fait un geste oratoire. Les métiers sont parfois représentés sur les vitraux, à Chartres nous voyons les tailleurs de pierre. Même les créatures de fantaisies sont admises à donner leur note dans ce concert : licorne, phénix, pélican, aigle sont employés pour leur symbolisme. Et nous voyons aussi les toits agrémentés de maintes gargouilles grimaçantes et cependant belles à leur manière. Et cet hymne de prière ou chante toute la création, est offert au Seigneur par tous ses enfants.
C’est avec la collaboration de tous que les cathédrales de France se sont élevées
Ce sont en effet tous les habitants de la région qui ont collaboré à cette construction, chacun selon ses possibilités. Les représentants de la ville ont été consultés avant l’entreprise de cette grande œuvre », leur avis leur a été demandé et c’est au nom de tous et avec la collaboration de tous que l’église est élevée. Il y eut d’abord ceux qui y étaient intéressés directement de par leur métier : maître-d’œuvre, maçons, tailleurs de pierre, carriers. Ceux ensuite qui sans connaissances spécialisées aidaient dans les gros travaux : charroi des pierres.
Des soutiens par le talent, la force de travail ou par les moyens financiers
Enfin ceux qui ne pouvant vraiment rien faire de leur personne y collaborèrent quand même par leur aide pécuniaire ; car bien sûr, il fallut trouver beaucoup d’argent, et tous étaient heureux d’apporter leur obole, donnant non seulement de leur superflu, mais très souvent de leur nécessaire. Combien de bagues, de médailles gardées comme précieux souvenirs furent offerts à cette occasion. Les enfants eux aussi se faisaient une joie d’aider et tel qui ne savait encore aucun métier rendait de menus services, apportant les outils, faisant les commissions, tel autre aidait son père, etc.
Quand une cathédrale de France brûle, elle est reconstruite
Voici par exemple ce qui se passa à Chartres. En 1195, un incendie terrible ravagea la ville. Même ceux qui avaient perdu leur maison l’oubliaient pour penser à Notre-Dame qui elle aussi avait perdu sa cc maîtresse demeure ». Il y eut grande joie quand sous les décombres on retrouva la Châsse et immédiatement la résolution fut prise de reconstruire. De près et de loin, les dons arrivèrent : un étudiant de Soissons donna un beau fermoir d’or qu’il rapportait pour sa mie… Beaucoup de dons furent faits en nature : les gens de Courville apportaient des poutres, ceux de Bonneval de la chaux, ceux de Pithiviers des chariots de froment à vendre au profit de I‘œuvre, D’autres enfin offraient leur travail volontaire, tels ces Bretons qui s’en allaient de nuit à la carrière de Berchères pour en ramener un chargement de pierres.
La construction d’un tel édifice confond les rangs sociaux
Tout ce peuple qui travaille à la maison de Notre-Dame, confondant rangs sociaux, déposant toute inimitié, tout orgueil et toute jalousie, cela symbolise l’unanimité des efforts autour de la grande œuvre et nous montre l’élan soulèvent au-dessus d’eux les constructeurs et les décorateurs des cathédrales de France. Et cette demeure que son peuple offrait au Seigneur, il la lui offrait en général par l’intermédiaire de Marieà qui presque toutes les cathédrales furent dédiées. Le 13e siècle en effet est l’époque où le culte de Notre-Dame prend grande extension. La pratique du chapelet se répand, la prière se tourne vers elle avec confiance et les « Miracles chantent sa puissance et sa bonté ».
Les cathédrales de France abritent le peuple et tendent à l’édifier
Mais cette demeure de Dieu, est également destinée à abriter les fidèles qui y viendront non seulement prier seul à seul, mais aussi tous ensemble pour chanter les louanges du Seigneur. Cela explique ses dimensions et sa disposition.
Les Cathédrales de France sont sièges des Evêques et églises des fidèles
Il y a le siège de l’évêque au fond du chœur et de chaque côté le clergé prenait place sur des bancs. Cette disposition est encore très visible dans la Cathédrale Saint-Jean de Lyon. Pendant les offices, ils prenaient place dans les nefs et principalement dans la grande nef. Les nefs latérales, le déambulatoire desservaient la chapelle du chevet devenue au 13° siècle très importante et en général dédiée à la Ste Vierge et servaient pour les processions. Dans la nef, les fidèles ne trouvaient pas comme de nos jours des chais des prie-Dieu, l’hiver, les dalles étaient couvertes de paille et pour les grandes fêtes le sol était jonché de fleurs et d’herbes odoriférantes.
La plupart sont des édifices de style gothique
La plupart de nos cathédrales de France sont de premier style gothique dans lequel les fenêtres garnies de vitraux splendides mais aux couleurs foncées ne laissent pénétrer qu’une lumière assez diffuse, cependant il ne faut pas oublier qu’alors on ne possédait guère de « livre de messe », l’imprimerie n’était pas encore Inventée et n’avoirun psautier manuscrit n’était le fait que de peu de personnes, de sorte que nul ne se plaignait de ne pas voir assez clair. La prière collective s’exprimait en psaumes et cantiques ou parfois le fra alternait avec le latin et que tout le monde savait par cœur.
Dans les cathédrales de France, les ornements, statues, vitraux… permettent à tous de s’instruire
Lorsqu’il arrivait, le fidèle était accueilli par les portails, ces splendides portails qui forment le rez-de-chaussée des façades, et là, il pouvait dans les sculptures qui l’ornent apprendre le résumé de notre religion. Y étaient représentées : la Création, la Chute, la Rédemption annoncée et les prophètes. Le Christ vient, vit, souffre, il meurt, il ressuscite et monte ciel (cependant il est à noter que la Passion et la Crucifixion ne sont que rarement traitées dans la grande sculpture, ces sujets sont plutôt réservés aux jubés et aux clôtures de chœur.)
Le Jugement dernier est systématiquement représenté
On voit encore le Jugement Dernier, le Ciel et l’Enfer. Le portail central est en général dédié au Jugement Dernier, le tympan représente cette scène émouvante. Les détails varient avec les régions, mais on retrouve partout Jésus-Christ triomphant (beaucoup plus grand que les autres personnages, car les artistes de toque proportionnaient la grandeur de la statue à l’importance de celui qu’elle représentait) et la séparation des bons et des méchants.
Aux voussures : la Jérusalem céleste, Anges et Saints.
Aux chambranles : les Vierges sages et les Vierges folles.
Au trumeau : la place d’honneur est donnée au Christ : le Beau Dieu d’Amiens.
Aux piédroits : les Apôtres.Presque partout également, le portail de droite est dédié à la Ste Vierge et celui de gauche au saint qui est particulièrement vénéré dans le pays soit parce qu’il l’a évangélisé soit parce qu’il l’a comblé de bienfaits. Les statues des piédroits représentent des personnages du Nouveau Testament, parfois l’Ancien. Les sujets de l’ornementation des portails latéraux laissent plus de place à la fantaisie, souvent l’un d’eux est encore dédié à la Sainte Vierge.
A Chartres, au portail latéral nord, côté du froid et de la nuit, on voit les personnages et des scènes de l’Ancien Testament, au portail latéral sud, côté chaleur et lumière, c’est le Nouveau Testament qui est représenté. Toute cette sculpture était pour les fidèles de l’époque une occasion de s’instruire, les prêtres, les clercs leur en expliquaient la signification et eux-mêmes racontaient ces belles histoires à leurs petits-enfants. L’élévation de la flèche et des tours passionnaient aussi l’opinion, et il s’y mêlait peut-être un peu d’amour-propre. Toute la ville désirait que sa propre cathédrale de France soit au moins aussi grandiose sinon plus belle que celles des autres villes du royaume.
Les Chrétiens s’y réunissent.
Les cathédrales de France étaient la demeure des fidèles non seulement parce qu’ils y assistaient aux offices et qu’ils pouvaient s’y instruire, mais encore parce qu’il leur est permis de s’y retrouver pour certaines réunions. N’est-ce pas en effet devant le portail principal que se dressait la scène où se jouaient Mystères et Miracles. Plus tard du reste après les exagérations de la Fête des fous où l’on allait jusqu’à faire pénétrer un âne dans l’église, des défenses furent faites et l’église avec les années qui passaient et la faculté de trouver d’autres lieux de réunions devint plus uniquement un lieu de prière.
Dans les cathédrales de France, l’âme française a su abriter à la fois tous ses rêves
Dans cette église, œuvre de tous, tous se retrouvaient avec joie. Tout le monde s’y sentait à l’aise, l’Évêque qui officiait, les clercs qui avaient dicté le programme iconographique, les imagiers qui les avaient exécutés, les seigneurs féodaux et les artisans dont les blasons et les signatures voisinaient au bas des verrières qu’ils avaient offertes, tous, depuis le docteur en théologie jusqu’à l’humble femme pouvait, comprendre les peintures et les sculptures, se sentaient chez eux dans cette demeure où l’âme française a su abriter à la fois tous ses rêves.
Leur construction : un projet de temps long
Il fallut parfois de nombreuses années, voire plusieurs siècles pour que certaines cathédrales de France fussent terminées. C’était en effet un travail de longue haleine. C’est ce qui explique que jamais nos églises ne sont d’un style unique, dès qu’un progrès nouveau était réalisé on voulait en faire l’application dans le monument et l’on « amendait », tout au moins le croyait-on, le plan primitif. C’est ainsi qu’au 14e siècle furent ajoutées les chapelles ouvrant sur les nefs es car toutes les corporations désiraient voir leur patron honoré d’un autel spécial – et qu’aux l 7e et 18e siècles plus d’une modification fut faite.
Les cathédrales de France : des monuments pleins de vie
Évidemment, nous préférerions plus d’unité dans le plan et nous regrettons des splendeurs disparues, mais ces changements inspirés par le désir d’employer ce que l’on connaît de mieux donnent au monument au lieu d’une fixité qui pourrait sembler un peu morte, une variété pleine de vie, les cathédrales de France vivent encore, évoluent et prennent pour ainsi dire les couleurs des temps qu’elle traverse. Chaque siècle jusqu’à nous l’offre de nouveau au Seigneur en lui ajoutant ce qui est l’objet de ses préférences, ne serait-ce qu’une restauration dans le style primitif quand il juge que l’unité de l’ensemble est nécessaire à sa plus grande beauté. C’est pourquoi nos cathédrales de France sont encore, bien que plus tout à fait comme au Moyen-Âge, cet hymne de pierre que les Chrétiens offrent à leur Seigneur.