« Toute notre richesse intellectuelle nous est donnée du dehors » selon saint Thomas d’Aquin. C’est pourquoi il y a une nécessité pour toute personne d’être formée par d’autres. Le texte ci-dessous est extrait de « La formation chrétienne » publié par le mouvement CV-AV en 1937 et s’adresse à toutes les personnes exerçant des responsabilités au sein du mouvement.
Une œuvre auprès des enfants n’est-elle qu’un lieu de récréation ?
Votre Œuvre ne serait-elle qu’un lieu de jeux, de récréations, où on retrouve l’Abbé, les camarades pour passer un moment ? pour se laisser vivre et ne pas s’en faire ? Que penser d’une telle conception ? et de cette autre qui lui tient de près : dans notre œuvre, on monte des séances. On est acteur et on vient pour faire plaisir à I’Abbé, à qui on est heureux de rendre service ; et puis, il faut avouer que c’est rudement intéressant de se mettre dans la peau d’un autre, d’être acteur. Estimez-vous que là doit s’arrêter le rôle du patro. N’estimez-vous pas, mes chers amis, qu’elle a une fonction plus haute, plus belle à remplir. A savoir vous aider à être vous, à donner votre pleine mesure. Votre œuvre doit être pour vous un moyen de vous former chrétiennement.
Le chrétien est un « plus homme » qui reçoit de la communication avec Dieu, l’épanouissement de ses facultés.
De quoi se plaint-on à l’heure présente ? Défaut de spécialisés, de chefs, d’hommes compétents, capables de donner leur mesure, de remplir leur tâche d’hommes. Erreur de se représenter le chrétien, vous le savez bien, comme un individu mutilé, diminué. Le contraire vous est évident. Le chrétien est un “plus homme” (excusez ce nouveau mot !) qui reçoit de la communication avec Dieu, l’épanouissement de ses facultés. Rappelez-vous les mots essentiels de l’Évangile : Paix. Joie. Charité. Renoncement. Sacrifice. Mortification. Croix. Oui, mais pour, en vue de l’acquisition d’un bien plus élevé, de valeur plus grande ; cela, du fait que nous avons tous des défauts ; que, héritier de la chute primitive, il y a désordre dans nos facultés, déséquilibre. Le Christ, notre Maître divin est l’Homme-Dieu. C’est-à-dire Homme, dont l’Humanité a eu son terme, en Dieu, par l’assomption d’une Personne divine, et lui a permis de réaliser toutes les perfections de l’Humanité. « Voici l’Homme », s’écrie Pilate, présentant Jésus à la foule.
Pour se réaliser lui-même, le chrétien doit être formé, et guidé.
Alors il faut se réaliser soi-même. Ce serait facile si nous ne trouvions une certaine opposition. Je viens de vous en parler déjà. « Malheureux homme que je suis, s’écrie l’apôtre, je fais le mal que je ne veux pas et je ne fais pas le bien que je voudrais. Qui me délivrera de ce corps de mort. » Comment obtenir, atteindre cette perfection qui est le but de notre effort pour nous permettre de donner à notre vie son maximum, donc de donner à notre moi toute sa richesse, et ainsi de procurer notre bonheur ?
Le bonheur consiste dans une plus grande intensité de vie.
Là est le problème auquel l’œuvre des Cœurs vaillants et âmes vaillantes entend répondre. Par œuvre, j’entends sans doute les Camarades. Mais encore, surtout le guide. L’abbé qui a reçu mission de Dieu et de l’Église par l’organe de son Évêque d’être conseiller, directeur, éveilleur d’âme. Mais direz-vous ? Ne pouvons-nous pas nous suffire à nous-mêmes, nous guider seuls ? Illusion dangereuse. En formation personnelle plus encore qu’en tout autre sujet, nous sommes tous dépendants de l’aide d’autrui ; actifs sans doute mais aussi plus encore patients et réceptifs. Tout éveil de nos facultés procède du dehors. Dans l’ordre corporel : Parents, marche, langage. Au plan intellectuel : Maîtres. Nous devons être « appris » pour apprendre. Au plan affectif : même l’excitation sensible du cœur vient du dehors. Ainsi se trouve justifié le principe de saint Thomas selon lequel « Toute notre richesse intellectuelle nous est donnée du dehors. » Je devrais ajouter dans l’ordre professionnel : On apprend à monter en bicyclette, à conduire une voiture, à pratiquer n’importe quel sport…
L’excitation, l’étincelle doit être produite de l’extérieur et nous trouvons ici la preuve notre dépendance.
Mais combien plus dans le domaine intérieur du moi humain. La sagesse antique avait résumé la perfection en ce mot : Se connaître soi-même. Que d’individus sont un mystère pour eux-mêmes, agissent en fantômes, sans prendre conscience de ce qu’ils sont. Vous connaissez l’épitaphe célèbre : « Ci-gît un insensé qui sortit de la vie sans savoir pourquoi ni comment il y était entré, » Puis nos qualités ou nos défauts. Ceux-ci surtout : l’orgueil, l’égoïsme sont une cause d’obscurcissement, empêchent de bien se voir, de se connaître. De là la nécessité de s’ouvrir à un guide instruit, compétent. Le Christ est notre Maître. Le contact avec son Evangile est formateur. Mais là, toujours, même danger d’illusions personnelles, de modifications accomplies par notre esprit. Le livre le plus saint, le plus divin a besoin d’être interprété par une autorité infaillible. De là l’importance et le bienfait de la Direction, de la formation, moyen principal de faire une Education. C’est aussi le profit à tirer du « Cercle d’Etudes », des groupements divers auxquels vous appartenez. Le patronage, le scoutisme, les mouvements spécialisés sont autant de moyens de procurer à leurs intéressés, cette éducation, cette formation qui leur est indispensable.
Les qualités de l’éducateur chrétien : ouverture, effort et désir de la perfection
Notons pour terminer les qualités que vous devez apporter dans ce travail si important, pour atteindre le but que vous vous proposez.
- Ouverture d’âme
Simplicité, franchise, vous devez avoir l’amour de la vérité pour elle-même. Ne point craindre la lumière, car la vérité a pour effet de nous délivrer, de nous libérer. - Effort intérieur
II ne s’agit pas de recevoir ; mais d’assimiler selon le mode de votre nature, de vos facultés, les caractères, la tournure propre de votre moi humain, puis encore de vos obligations, de vos devoirs particuliers. « Tout élément, déclare saint Thomas, doit être reçu d’après la nature propre de celui qui le reçoit. » Il y a un travail intime qui est l’œuvre propre de l’éduqué, qui ne peut se faire qu’en lui et par lui. Spontanéité de l’âme que rien ne remplace. - Désir et amour ardent de la perfection.
Quelle est, remarquez-le, la cause de nombre d’échecs dans la vie ? L’orgueil de l’individu : Monsieur croit tout savoir, tout connaître. Reconnaissez vos faiblesses, vos tentations, vos chutes. Dans la mesure où vous serez convaincus de ceci, vous vous appuierez avec force sur le guide que Dieu a mis près de vous. C’est que nous avons tant besoin du secours d’en haut, de la grâce divine, pour réaliser quelque bien. Et cette grâce nous est donnée avec tant d’abondance pour nous aider dans l’œuvre de notre perfection !
Œuvre d’amour, voilà bien ce qu’est essentiellement Votre formation. A l’amour infini de Dieu qui se penche sur sa chétive créature pour lui faire part de la richesse insondable de sa vie divine, répondra votre amour ; et c’est avec tout l’élan de votre âme, mes chers amis, que vous profiterez des moyens mis à votre disposition, pour vous permettre d’être des chrétiens sans peur et sans reproche dont notre temps a si particulièrement besoin.