La préface de la nouvelle édition de la biographie de Jean-Joseph Allemand a été publiée dans la revue Le patronage de janvier 1934. Elle a été écrite par Monseigneur Maurice-Louis Dubourg à l’époque évêque de Marseille où Jean-Joseph Allemand avait créé la première première œuvre de jeunesse plus d’un siècle avant. En effet, nous avons toujours « besoin de remonter à la source, principes de ce grand éducateur qui, loin d’avoir vieilli, restent toujours aussi nécessaires et si féconds.

Jean-Joseph Allemand : les temps ont changé mais son esprit est toujours actuel

Jean-Joseph Allemand, ce saint homme vécut à Marseille au commencement du XXe siècle et y fonda la première œuvre de jeunesse. Peut-il encore trouver quelque crédit auprès des directeurs de patronages et de cercles de jeunes gens de notre temps ? L’époque où Jean-Joseph Allemand exerça son ministère était si différente de la nôtre ! Il y a un siècle, Jean-Joseph Allemand faisait figure de novateur, et tous ceux qui naissent sa vie, non seulement s’inclinent avec respect devant l’abnégation, l’humilité, disons le mot, la sainteté de ce prêtre admirable, mais encore louent son amour pour les enfants et les jeunes gens, le zèle sacerdotal qu’il déploya à leur service et les résultats surprenants qu’il obtint. Les temps ont changé, les œuvres se sont multipliées et le précurseur a été tellement dépassé qu’il peut paraître à beaucoup inutile, peut-être même dangereux, de le poser en modèle aux prêtres d’aujourd’hui.

Jean-Joseph Allemand était animé d’un véritable esprit sacerdotal

Qu’on instruise la cause de béatification de ce grand serviteur de Dieu, fort bien. Mais qu’on ne cherche pas à faire revivre en notre temps l’esprit, les méthodes et le genre de Jean-Joseph Allemand. Tout cela est périmé et nous devons demander à d’autres formules, voire même à d’autres principes, le moyen d’attirer les âmes à Dieu. A temps nouveaux, besoins nouveaux. A besoins nouveaux, méthodes nouvelles. De cela nous sommes convaincus. Mais nous sommes non moins persuadés que si des œuvres construites sur le modèle de la première œuvre de jeunesse de Marseille ne répondent plus à tous les besoins de la jeune génération, l’esprit qui animait le pieux directeur ne saurait ni disparaître, ni même vieillir : c’est le véritable esprit sacerdotal, l’esprit de foi, de prière, l’esprit surnaturel poussé jusqu’à l’abnégation la plus parfaite.

Sans une vie intérieure profonde, un prêtre ne peut atteindre les âmes, pas plus aujourd’hui qu’autrefois.

Les moyens humains varient suivant les circonstances de temps et de lieu, mais les moyens surnaturels sont toujours les mêmes. Depuis cinquante ans, et surtout depuis la guerre, les œuvres ont pris un essor remarquable. Aux patronages paroissiaux et aux cercles qui, pendant de longues années, furent les seules organisations groupant les jeunes catholiques, se sont ajoutées et, en certains endroits, substituées d’autres formes d’œuvres. Dans les patronages une grande place a dû être faite aux sports, avec les compétitions qu’ils comportent et les sorties qui en sont l’inévitable et redoutable conséquence. A côté des patronages, et parfois dans leur sein, existent aujourd’hui des groupes de jeunesse catholique, affiliés à la grande association nationale I’ A.C.J.F., et, dans un genre fort différent, le scoutisme, si éloigné des formes anciennes, qu’il effraie beaucoup d’éducateurs, à cause de la confiance qu’il fait aux garçons et du rôle important qu’il donne aux jeunes chefs placés à la tête des troupes et des patrouilles.

Des chrétiens pour évangéliser leur propre milieu

Plus récemment, une forme audacieuse d’apostolat juvénile a attiré l’attention, non seulement des jeunes gens, mais de tous ceux qui sentent le besoin d’un travail de pénétration chrétienne dans la masse indifférente ou hostile : née au sein des milieux ouvriers, la J.O.C. a fait rapidement école et l’on a vu se créer des mouvements similaires pour jeunes agriculteurs, les étudiants, les marins, etc. La grande préoccupation des militants de ces nouveaux mouvements est la conquête de leur milieu. Toute leur activité est orientée vers ce but. Leurs réunions de travail, leurs distractions, leurs sorties elles-mêmes ne sont que des moyens pour atteindre plus sûrement la fin qu’ils se proposent : refaire chrétiens leurs frères. Que nous voilà loin de l’œuvre de Jean-Joseph Allemand où les jeunes gens vivaient entre eux, isolés du reste du monde, dans une atmosphère de piété intense et de grande charité, sous la direction du prêtre qui les aimait tant ! Là, dans cette œuvre leur chère œuvre – ils jouaient, ils priaient, se dévouaient. Et surtout ils recevaient de Jean-Joseph Allemand une solide formation chrétienne.

Pour Jean-Joseph Lallemand, l’essentiel était de remplir les jeunes gens de l’esprit du Christ

Il est dans l’ordre que l’enfer s’oppose à notre perfection. Courage et confiance dans la Sa direction tendait à faire de ses jeunes gens non seulement des pratiquants, mais des hommes remplis de l’esprit du Christ. A cet effet, il leur parlait à tous d’humilité, d’obéissance, de charité, de renoncement à soi-même, de mortification et de toutes les autres vertus du christianisme. Aux meilleurs, à ceux qui lui paraissaient capables d’une vie plus parfaite, il demandait davantage et s’efforçait de faire d’eux les modèles et les entraîneurs de leurs camarades dans l’œuvre. Il disait que : « si dans l’œuvre il n’y avait pas un certain nombre de jeunes gens selon le cœur de Dieu, et qui tendent à la perfection, l’œuvre ne pourrait pas subsister ; elle croulerait, comme tant d’institutions où il y a plus d’humain que de divin, et qui ne brillent un moment que pour disparaître bientôt sans retour. »

Travailler à former des chrétiens exemplaires

Travailler à la sanctification des jeunes gens qui fréquentaient l’œuvre lui paraissait un devoir impérieux auquel ne pouvaient pas se soustraire, sans se charger d’une lourde responsabilité, ceux de ses disciples qui avaient le sens chrétien. A l’un d’eux qui hésitait à se lancer dans cet apostolat, il écrivait : « Dieu veut que vous quittiez cette crainte et cette pusillanimité qui a été jusqu’à présent votre défaut, et que vous mettiez dans l’œuvre un saint incendie. C’est le plus sûr moyen que vous ayez de faire pénitence pour vos péchés. » Des jeunes gens pareillement formés ne pouvaient pas ne pas avoir conscience de leurs responsabilités. Ils devaient être des chrétiens exemplaires dans leur famille et dans l’exercice de leur profession ; mais ils ne pensaient pas avoir reçu la mission de travailler à la conservation de leurs frères de travail.

Les fruits de l’éducation donnée par Jean-Joseph Allemand

C’est à cette tâche nécessaire que se consacra Jean-Joseph Allemand. Qui oserait dire que son œuvre a été inutile, que ses jeunes gens ne lui ont pas fait honneur ? Non seulement la plupart fondèrent des familles chrétiennes, mais beaucoup d’entre eux furent à la tête de diverses œuvres de piété ou de bienfaisance si répandues dans la ville de Marseille.

Former de fortes personnalités au sein de l’Eglise

Un siècle s’est écoulé depuis la mort de Jean-Joseph Allemand, un siècle pendant lequel l’Église de France a été fortement secouée, mais ne s’est pas laissé abattre ! Non contente de se défendre et de protéger ses enfants contre les dangers qui les menaçaient, en multipliant les œuvres de préservation, elle a de plus en plus com­pris l’importance de former de fortes individualités, capables, tout en résistant au mal, de faire œuvre de conquête. Aussi quand le Pape Pie XI a lancé ses pressants appels à l’Action Catholique, l’Église de France était-elle prête à suivre les consignes du Souverain Pontife. Puisque c’est un devoir pour nos jeunes catholiques de faire œuvre d’apôtres dans leurs milieux et de participer à l’apostolat hiérarchique, c’est un devoir pour leurs éducateurs de les former à cette tâche.

Jean-Joseph Allemand, véritable guide dans une mission d’éducation

Ce serait une erreur de croire que Jean-Joseph Allemand ne peut pas servir de guide aux ouvriers d’une telle mission, et qu’à cause de cette différence de point de vue sa méthode est à rejeter. Si les circonstances présentes ne nous permettent pas de garder auprès de nous nos jeunes gens, comme le faisait Jean-Joseph Allemand, si pour répondre aux appels du Pape les meilleurs de nos disciples doivent nous quitter, et porter à tant de jeunes âmes qui n’ont pas de pasteur, la vérité qui les éclaire, notre devoir est de les armer pour les combats qu’ils auront à mener. Ne doivent-ils pas être des chrétiens d’autant plus convaincus et plus forts qu’ils rencontreront plus d’indifférence et auront à surmonter plus de difficultés ?

Être prêt à laisser voler de leurs propres ailes les jeunes gens formés

Pour être les éducateurs de cette jeunesse conquérante, nous n’avons pas à recourir à d’autres principes que ceux de Jean-Joseph Allemand : la vie intérieure, l’humilité, le don de soi poussé jusqu’à l’abnégation complète. Bien au contraire, nous avons d’autant plus besoin de ces principes et de ces vertus qu’à certains égards notre tâche est plus ingrate encore que celle de Jean-Joseph Allemand lui-même : nous devons être prêts à tout instant à laisser voler de leurs propres ailes les jeunes gens que nous avons formés à la vie d’apôtres. La dure loi de séparation s’impose aux prêtres, aux directeurs d’œuvre, comme elle s’impose aux parents quand leurs enfants, devenus grands, doivent quitter la famille pour former à leur tour un foyer.

Jean-Joseph Allemand : une vie à méditer pour les responsables d’œuvres de jeunesse

Pour être capable d’un tel détachement, et pour donner à nos jeunes dis­ciples le zèle qui les entraînera à l’action et la force qui les gardera de tout danger, nous ne saurions trop demander à Jean-Joseph Allemand le secret de son héroïsme et de son ascendant sur la jeunesse. Monseigneur Dupanloup, dans la préface de la première édition de la biographie de Jean-Joseph Allemand, écrivait : « Je voudrais que votre Vie de Jean-Joseph Allemand fût étudiée, méditée par tout ce qu’il y a en France de supérieurs et de directeurs de petits séminaires et de maisons d’éducation chrétienne. » Ce n’est pas assez demander. Il n’est pas que les prêtres chargés des séminaires et des maisons d’éducation qui puissent tirer profit des exemples et des enseignements de Jean-Joseph Allemand. A tous ceux qui veulent aider les meilleurs d’entre eux à refaire chrétiens leurs frères, la vie de Jean-Joseph Allemand fera connaître les vrais principes d’apostolat sacerdotal, les seuls qui assurent la stabi­lité et la fécondité d’une œuvre, et qui permettent de former les jeunes chrétiens ont notre temps et notre pays ont un si grand besoin.

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