« Educere… », tirer de ce petit être encore tout en virtualités ses propres caractéristiques qui feront de lui, non pas un individu perdu dans la masse, mais une personne capable d’exprimer ses convictions, ses droits ; de discerner sa « gauche » de sa « droite », le vrai du faux, le bien du mal ; et d’agir par lui-même, par conviction, par obéissance à la fois spontanée et réfléchie à des motifs qu’elle s’est fixée dans sa liberté. Voici un extrait du feuillet Educateurs du Mouvement Cœurs vaillants-Âmes vaillantes de 1943.
« On ne nait pas libre, on le devient. »
L’éducateur doit libérer l’enfant prisonnier de son tempérament, de ses blessures et de celles de son environnement pour l’amener à se déterminer lui-même en toute liberté, à faire sienne la vieille devise des Halifax : « J’aime mon choix » ! Une éducatrice à qui l’on demandait : « Que sont devenus, jeunes adultes, les enfants dont vous vous occupiez précédemment ? » répondit candidement : « Ils ont été malheureusement livrés à eux-mêmes et ils n’ont pas persévéré ! » Comme si toute l’ambition de l’éducateur n’était pas justement d’obtenir que les enfants puissent être livrés à eux-mêmes et continuent alors de bien se conduire, en toute liberté !
Il est plus urgent que jamais de s’attacher à former des personnalités, parce que tout se ligue contre la personne humaine, tout actuellement concourt à détruire les personnalités, à les noyer dans un magma sans consistance.
Gaston Courtois
Au milieu des circonstances les plus favorables, l’éducateur doit entreprendre, patiemment, de libérer les personnes. La tâche paraît hors de proportion avec le peu de possibilités pratiques, elle semble vouée à l’échec : lutte du pot de terre contre le pot de fer… Ce serait méconnaître l’histoire que de s’arrêter à des tentations de découragement. Le monde a connu d’autres époques de chaos où toute valeur humaine semblait s’abîmer. Et puis des points miraculeux de résurgence se sont affirmés, parce qu’il y avait là un grand penseur, là un monastère, là un homme doué du génie de l’éducation, là surtout un saint. Les grands bouleversements de l’Histoire ne sont jamais assez totaux pour effacer toutes traces de pensée sereine ou de travail fécond : la Providence ménage des oasis ignorées dont l’existence n’est révélée qu’après la tempête.
Le réel et le concret guident l’éducateur
Certes, il faut qu’il soit dans le réel et dans le concret, il doit savoir insérer son action dans le « donné » de la vie de chaque jour, il doit s’obliger à respecter l’incarnation spatiale et temporelle, psychologique et pédagogique, de tout problème humain ; bref, il doit être ce qu’on appelle un homme qui a les pieds sur terre. Mais il faut qu’il soit aussi l’homme des larges horizons, le penseur serein qui sait voir plus loin que lui et qui ne travaille pas pour l’année prochaine, mais pour dans vingt ans… ou dans un siècle. Il sait qu’on ne remédie pas en « un rien de temps » à des bouleversements aussi fantastiques que celui auquel nous participons. Il se sait le chaînon d’une très vaste chaîne, chaînon qui aurait le pouvoir de tirer lui-même sur la chaîne, et d’entraîner avec lui les chaînons précédents, et d’orienter déjà le chaînon qui suit, parce que ce « chaînon pensant » a le merveilleux privilège de savoir dans quelle direction il doit tirer.
L’éducateur au service de la liberté de la personne
Mais puisque nous sommes décidés à ne pas attendre – sûrs que notre action, pour problématique qu’elle soit, portera cependant des fruits – quels services pouvons-nous rendre à la personnalité de nos enfants ? C’est bien simple : nous avons à recréer, patiemment, ces deux notions fondamentales dont la disparition aboutit à la suppression de la personnalité. Nous avons à refaire une pédagogie de l’autorité et une pédagogie de la liberté. Et nous nous retrouvons en face d’une « saine pédagogie active » LIEN, celle qui apprend à l’enfant à se déterminer dans sa propre liberté, mais dans l’adhésion de sa conscience à une règle morale qui le dépasse. Pour apprendre à l’enfant à se déterminer en toute liberté, il nous faudra une organisation, des activités, un programme tels que son initiative et sa personnalité puissent se déployer.
Une organisation en petits groupes
Il nous faudra répartir les enfants nombreux en petits groupes animés par des chefs-éducateurs attentifs à faire réagir personnellement les consciences, et non pas seulement obtenir un acquiescement collectif du groupe. Le scoutisme et les pédagogies nouvelles nous montrent la voie.
Des activités et un programme
Pour que la conscience de l’enfant soit active, il faut que les muscles, les sens de l’enfant aussi le soient. Il ne suffit pas, pour le former, d’asseoir un enfant sur un banc d’école ; encore faut-il le faire réagir : lire, chanter, jouer, surtout dessiner, bricoler, expérimenter, devenir, chercher, classer, mimer, et aussi apprécier, critiquer, juger, organiser, établir des lois et des règlements… Et tout cela suppose une certaine tonalité d’âme… On croit si vite qu’on a compris la pédagogie active ! Et on est encore si loin, en France, de comprendre à quel point cela bouleverse toutes nos habitudes scolaires et nos routines d’œuvres !
Révéler l’autorité en lui redonnant son sens sacré
Pour apprendre à l’enfant à adhérer à une règle qui le dépasse : nous lui révèlerons l’autorité en l’affirmant et en la manifestant, et d’autre part nous travaillerons à lui forger une volonté sans défaillance. Cela oblige l’éducateur, pour commencer, à s’affirmer lui-même comme un chef, à connaître expérimentalement la différence qu’il y a entre autorité et autoritarisme. Affirmer l’autorité, c’est bien, mais il faut la maintenir. Pour qu’elle s’affirme dans les rassemblements, dans la tenue à l’église, dans les jeux, partout il faut qu’elle s’incarne en une personne : le chef ou le père.
Apprendre à l’enfant à se forger une volonté sans défaillance
Là encore, notre cadre d’activité nous servira : il nous permettra de graduer les difficultés, de ménager les obstacles pour donner à l’enfant la joie de les vaincre… Nous créerons une atmosphère de vaillance, nous prouverons à l’enfant que la vie « belle » appartient à ceux qui savent le vouloir… Et là encore, il nous faudra des cadres car cette éducation, qui peut se commencer par le collectif, s’achève nécessairement dans une véritable direction, morale et spirituelle, aboutissant à se pencher sur l’enfant pour doser l’effort qu’on réclamera de lui, pour le stimuler, l’encourager, l’aider à refaire son plein de courage après un échec, etc.